iTélé devient CNews. Qu’en pense CB News ?

C’est le changement de nom(s) marquant de cette rentrée : Vincent Bolloré prend le contrôle du groupe Canal + et en profite pour rebaptiser trois chaînes. D8, D17 et iTélé deviennent respectivement C8, C17 et CNews.

Comme souvent, le changement de nom a vocation à accompagner le changement de stratégie d’une entreprise, à marquer une rupture avec le passé et le démarrage d’une nouvelle page dans la vie de l’entreprise. On l’a vu au printemps avec le très médiatique changement de nom de l’UMP ou encore avec Engie, qui donne un élan de modernité au groupe GDF-Suez.

Le changement de nom d’une entreprise est une affaire plus complexe que la recherche du nom d’une entreprise que l’on crée.

Comme pour toute création de nom, il y a des enjeux stratégiques, juridiques et de communication.

L’enjeu juridique est commun à toutes les créations d’entreprises (nommage ou renommage). Mais ce qui les distingue, c’est que l’enjeu juridique est à la mesure de la dimension de l’entreprise, sa taille, sa notoriété, sa capitalisation boursière. Si l’entreprise s’appelle Apple, Vivendi ou Nestlé, ceux dont on spolie(rait) les droits ont de fortes chances de le savoir – eu égard à la médiatisation de ces sociétés – et sont alors en position de force pour négocier.

C’est ce qui s’était passé avec Eurostar.

Inaugurée le 6 mai 1994 par la reine Elisabeth II et le président François Mitterrand, Eurostar a été confrontée dès son lancement à un contentieux avec la société Eurostart (même nom, un « t » au bout) qui a fait valoir le risque de confusion existant entre les deux noms. Imagine-t-on les dirigeants d’Eurostar devoir expliquer à leurs salariés, leurs clients, leurs compatriotes qu’ils étaient contraints de changer de nom, faute d’avoir effectué les vérifications juridiques usuelles ? Car il faut préciser que le risque de confusion existant entre les marques Eurostar et Eurostart (signes quasi-identiques) constitue le b.a.-ba du droit de la propriété intellectuelle. Un étudiant en première année le sait. Que fait-on alors ? On négocie. Parce qu’on est pris à la gorge, parce qu’on n’a pas le choix et pas le temps. Et on paie. Bien évidemment, le montant (élevé) de la transaction est resté confidentiel. Certains bruits des couloirs dans le petit monde de la propriété intellectuelle faisaient état de 20 millions de francs de l’époque, versés à la petite société de courses Eurostart. Le chiffre, s’il n’est pas avéré, est en tous cas crédible.

6 mai 1994 inauguration Eurostar

François Mitterrand et la reine Elizabeth II à l’inauguration de l’Eurostar.

Autre cas d’école : celui du lancement du portail Vizzavi par le groupe Vivendi. Au début des années 2000, en pleine époque « JMM », le groupe Vivendi avait dû verser 24 millions de francs à Ababacar Diop, ancien porte-parole des sans-papiers, qui avait monté un café parisien baptisé « Vis@Vis » (Le JDN, 12 août 2000). Et c’est sans parler du nom de domaine et de la marque Vizavi qui eux aussi étaient déjà déposés.

Là où l’on s’étonne, c’est que les leçons d’hier ne servent pas aujourd’hui. Et que des grands groupes continuent à déposer des noms qui bafouent de manière patente les droits de propriété intellectuelle détenus par d’autres titulaires. Sauf à considérer que c’est avant tout la force du désir des (grands) patrons, et la puissance de leur égo, qui forcent la décision, contre l’avis des directions juridiques. Comme au poker : on joue pour voir. Si ça passe, tant mieux. Et s’il y a de la casse, on est assez riche pour payer. C’est comme ça que fonctionnait Steve Jobs ; cela lui a permis de s’offrir le nom « iPhone ». Mais quand on a les moyens de payer, pourquoi s’abstenir ?

Chez Timbuktoo-Naming, nous appelons ce mode de création le « naming charismatique » : le nom est voulu et imposé par le patron. C’est Peter Brabeck avec Nestlé Pure Life, Steve Jobs avec iPhone, Nicolas Sarkozy avec les Républicains, Vincent Bolloré avec Autolib’… Le chef décide, et l’intendance suit.

Alors, quid de CNews ? Toute la presse, en ce début de semaine, parle du changement de nom d’iTélé, souhaitant même la « bienvenue » à Cnews.

Personnellement, je ne serais pas surprise que ce nom soit la décision de M. Bolloré, et qu’on ait avec « Cnews » un nouvel exemple de « naming charismatique. »

On peut comprendre le choix de ce nom, le C marquant la filiation avec le groupe Canal et la sororité avec les chaînes C8 et C17.

En revanche, ce nom peut tout à fait constituer un sujet de contentieux avec le Groupe CB News. La proximité des deux noms est très forte, le risque de confusion est élevé ; au regard des principes du droit des marques, le groupe fondé en 1986 par Christian Blachas et racheté fin 2012 par StartInvest serait en droit de s’opposer à la demande de dépôt de la marque CNews effectuée par le groupe Vivendi auprès de l’INPI.

La demande de dépôt de « CNews » par Vivendi a été publiée le 21 août par l’INPI. Le groupe CB News a deux mois (délai légal qui court à partir de la date de publication) pour faire connaître sa décision.

Et c’est sans compter internet : CNews est enregistré dans de nombreuses extensions, dont Cnews.fr, un agrégateur de news qui existe depuis 2008 selon Wikipedia. A l’heure où j’écris ces lignes, le site internet de la nouvelle CNews est toujours visible sur itele.fr.

Bref, affaire à suivre. Parions qu’on en reparlera dans les mois qui viennent.

Delphine Parlier

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