Les couleurs peuvent-elles devenir des marques ?

A quoi le rouge vous fait-il penser ? Très probablement, en top of mind,  à une cannette de Coca-Cola. La couleur orange ? À un opérateur de télécom ou encore aux magnifiques boites Hermès. Les couleurs sont devenues des éléments de la brand equity : elles font partie du capital des marques, au point que Coca-Cola avait commandité dans les années 90 une étude mondiale pour savoir comment cette couleur pouvait être exploitée, en tant que telle, en communication.

Les couleurs sont exploitées dans les logos, elles sont l’une des composantes essentielles de l’identité visuelle d’une marque. Il est bien connu que les marques peuvent se déposer sous une forme verbale (le texte) mais aussi visuelle : un logo se dépose (marque figurative ou semi-figurative).

Mais une marque peut-elle s’approprier une couleur en tant que telle, indépendamment de son logo ?

Une couleur peut-elle constituer une marque ?

Les couleurs principales sont au nombre de six. Ce sont les couleurs de l’arc en ciel : le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu et le violet. Le dépôt de ces couleurs, prises en tant que telles, n’est pas autorisé. En effet, si une personne ou une société déposait l’une de ces couleurs alors elle pourrait empêcher ses concurrents de l’utiliser. Ainsi, plus personne ne pourrait exploiter de couleurs dans ses marques.

Heureusement, les couleurs s’associent, se combinent entre elles et peuvent être déclinées en différentes nuances. Au-delà de ces 6 couleurs principales, de nombreuses possibilités de déclinaisons sont offertes qui vont rendre la protection possible. C’est ce que précise le Code de Propriété Intellectuelle en son article L.711-1 en admettant la protection « des dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs ». Le principe est donc clair : les associations de couleurs peuvent constituer des marques.

Mais que signifie réellement l’article L.711-1, qu’entend t-on par combinaisons, dispositions ou nuances de couleurs ?

★ Les dispositions de couleurs

On entend par disposition la manière dont les couleurs sont agencées, c’est-à-dire la forme dans laquelle elles sont représentées. Au-delà de la couleur, c’est la mise en forme de la couleur qui sera protégée. Par exemple, le logo rouge et noir avec trait blanc de la Société Générale. Ce logo est composé de plusieurs couleurs disposées de manière particulière dans un carré.

★ Les combinaisons de couleurs

On entend par combinaison, la coexistence de plusieurs couleurs ou leurs associations (en damier, en bande…). C’est par exemple, la combinaison du bleu (pantone 2747C) et argent (pantone 877C) de REDBULL ; du bleu (pantone 3115C) et marron (pantone 4975C) de la société JEFF DE BRUGES ; du bleu (pantone 286) et jaune (pantone 109) de la société La Poste ou encore du logo de la SNCF qui est composé de la combinaison de couleur carmin, fushia et vermillon.

                                                                                                                       

★ Les nuances de couleurs

On entend par nuances, les différentes intensités d’une même couleur. C’est ainsi que la société MILKA a déposé comme marque la couleur « lilas/violet », auprès de l’Office Communautaire (OHMI). Cette couleur est une nuance de violet par rapport à sa couleur principale violette. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, il est très difficile pour une personne ou une société de déposer une nuance de couleur en tant que marque, la jurisprudence exigeant que de nombreuses conditions soient remplies.

Milka

Les conditions à respecter pour qu’une couleur déposée à titre de marque soit valable

Pour être valable, une marque doit désigner les produits ou services auxquels elle s’applique. Il en va de même pour les couleurs : le dépôt d’une couleur se fait donc en relation avec des produits et services.

Pour être valable la couleur déposée à titre de marque doit être distinctive. Cette condition de protection est l’une des moins connues mais elle est pourtant d’une importance capitale. Une marque doit être distinctive c’est à dire que la marque ne doit pas être générique et purement descriptive de l’activité, du produit ou du service.

Cela signifie que la couleur ne doit pas être la couleur naturelle du produit. Par exemple, il ne serait pas possible de déposer la couleur blanche pour des produits laitiers ou du fromage, tout comme il ne serait pas possible de déposer la couleur orange pour vendre des oranges.

C’est ainsi que la société allemande Deutsche Bahn AG s’est vu refuser l’enregistrement d’une marque communautaire consistant en une combinaison des couleurs rouges et grises pour identifier des transports de personnes et de marchandises par voie ferrée6. Il a été jugé que ces couleurs étaient des couleurs usuellement utilisées dans les transports ferroviaires notamment sur les barrières ferroviaires. La condition de distinctivité faisait donc défaut.

Deutsche Bahn AG

Parmi les exemples de marques constituées par une couleur qui sont aujourd’hui en vigueur on retrouve la couleur orange, pantone 151, déposée par la société ORANGE pour les services de télécommunication ; la couleur jaune, pantone 109C, déposée par NIKON ; la couleur bleu, pantone 288 U, déposée par la société PETIT BATEAU ou encore la couleur bleu, pantone Process Blue Quadri Cyan 100%, déposée par DECATHLON.

                                                                               

Les conditions à respecter pour le dépôt

Le dépôt d’une couleur en tant que marque est très formel et a été précisé par la jurisprudence, notamment communautaire. Les dispositions et les combinaisons de couleurs ont été très rapidement acceptés comme pouvant être enregistrés en tant que marque, toutefois cela a été plus difficile pour les nuances de couleurs c’est à dire les couleurs en elles même sans délimitation dans l’espace. L’arrêt fondateur ayant consacré définitivement cette avancée est l’arrêt LIBERTEL du 6 Mai 2003 qui précise également les conditions à remplir pour que le dépôt soit valable.

Lors du dépôt il ne suffit pas de fournir un échantillon de la couleur que l’on souhaite déposer. Il convient de fournir une description « verbale claire, précise, complète par elle même, facilement accessible, intelligible, durable et objective ». Une demande comportant comme descriptif le simple nom de la couleur serait donc rejetée.

De plus, une désignation de la couleur au moyen d’un code d’identification internationalement reconnu est nécessaire. La classification PANTONE est celle qui est la plus souvent utilisée lors des dépôts. Ce système utilise 14 couleurs de bases pour produire plus de 1000 couleurs différentes. Il n’en reste pas moins qu’il pourrait s’agir d’une autre classification dès lors qu’elle est internationalement reconnue.

C’est ainsi que la couleur décrite comme « bleu pâle » n’a pas été admise car considérée comme trop générale. En revanche, la couleur orange déposée par la société HERMÈS a été acceptée puisque décrite comme suit « selon la référence LAB de la Commission Internationale de l’Eclairage : L : 58.32, a : 41.91, b : 48.06, avec un delta E de 2 (mesure effectuée sous une illuminance de D 65/10o) ».

Le dépôt d’une couleur en tant que marque est donc autorisé sous réserve du respect de certaines conditions, de précision et de régularité lors du dépôt.

Pour les entreprises, l’intérêt est double :
– d’un point de vue juridique, le dépôt de ce type de signe à titre de marque permet d’acquérir protection complémentaire et d’interdire aux concurrents toute forme de communication exploitant la disposition, la combinaison ou la nuance de couleur choisie à titre de marque.
– d’un point de vue marketing, cela permet aux entreprises de renforcer les synergies dans les différentes composantes de leur communication, et donc la cohérence globale de leur communication, et in fine leur patrimoine identitaire et la valeur de leur marque.

Cela étant, le dépôt de couleur(s) n’est pas à la portée de toutes les marques. Cela reste l’apanage de grandes marques telles MILKA, DECATHLON, SFR ou ORANGE, Hermès ou Veuve Clicquot.

Cas concret de litige

CANDIA, titulaire de la marque « rose pantone 212 » a attaqué et obtenu la condamnation pour contrefaçon de la société BESNIER ayant déposé la couleur « rose pantone 219 » pour les mêmes produits : les produits laitiers. La Cour de Cassation a annulé la marque de la société BESNIER en considérant que « les teintes choisies par les sociétés Candia et Besnier, bien que correspondant chacune à une nuance précise, étaient très proches et susceptibles d’être confondues par un consommateur d’attention moyenne ».

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